En France, l’avenir des centres anciens se dessine avec bonheur et incertitudes à la fois. Bonheur, car l’attachement des habitants à la conservation de leurs villes va croissant, et les élus s’en font l’écho.
Incertitudes car à cette demande ne répondent pas toujours une connaissance et une politique suffisamment élaborées.
La protection des villes va croissant. Même si, seule, une centaine de villes bénéficie d’un secteur sauvegardé, une trentaine sont en attente de moyens de l’État. Les zones de protection de plus en plus nombreuses pallient partiellement cette défaillance. Mais, surtout, les plans locaux d’urbanisme intègrent de plus en plus la protection. Alors que l’article L123-1 10 du code de l’urbanisme autorisait depuis 1967 la protection des bâtiments, c’est maintenant la loi SRU qui est mise en œuvre en maints endroits : ce ne sont plus les seuls monuments majeurs à être pris en compte, mais le tissu dit « ordinaire », formant le 95 % du bâti des villes qui fait l’objet de la protection.
Bordeaux et Saint-Aignan sur Cher
À l’initiative de la municipalité, Bordeaux élabore son PLU avec une protection fine prenant en compte les deux mille hectares et les quarante quatre mille parcelles peuplés d’« échoppes » et les maisons de ville situés entre « Cours et Boulevards ». Chaque immeuble fait l’objet d’une fiche de relevé patrimonial confrontée aux données urbaines et mise en perspective en fonction du projet urbain.
Pour mener ce travail de recensement de son patrimoine, la ville a engagé une équipe de six architectes, dont un architecte historien, et des informaticiens. Il faut ici souligner la présence de l’architecte historien dans l’équipe, fait rare, qui facilite l’élaboration de critères objectifs.
Plus modestement, Saint-Aignan-sur-Cher, commune de 3 500 habitants, mettant à profit l’étude de son patrimoine engagée en 2000, à son initiative, avec l’aide de la DRAC, hors de toute procédure administrative, a spontanément décidé de protéger dans le cadre du PLU. quatre-vingt de ses bâtiments sur les trois cents du centre ancien. En parallèle, elle a aménagé ses espaces publics et elle subventionne Îa restauration de ses maisons. Maintenant, avec sa commune limitrophe de Noyers-sur-Cher, elle demande la création d’un secteur sauvegardé.
Le centre et la périphérie des villes
Des menaces cependant pèsent sur le centre. L’habitat contribue à être délaissé malgré le succès des quartiers anciens. Et la flambée des prix restreint de plus en plus les couches de la population qui peuvent accéder aux centres. Aux derniers indices des coûts, dans des nombreuses villes, y compris moyennes, l’habitat ancien se place au niveau haut des constructions neuves.
Et les postures spéculatives bloquent le marché sans pouvoir être compensées par des politiques foncières ou des aides aux propriétaires. Simultanément, l’attraction commerciale et le tourisme pèsent aussi lourdement sur les villes anciennes au risque de les transformer en des lieux de chalandise et de flânerie, vides d’habitants, bonnes pour la photo.
L’échelle des fonctions que remplissent les centres anciens va croissant. Tandis qu’ils étaient destinés à une population de quelques milliers d’habitants, flux de trafic et échelle des établissements ne peuvent plus se satisfaire des espaces et des locaux anciens. Pour les élus, le dilemme est celui d’une adaptation du centre à une demande qui assurerait le « développement » ou d’une protection qui risque de renvoyer à la périphérie des investissements économiques. Alors que les centres exercent leur attractivité par le foisonnement de leurs services et par le caractère des lieux, on voit maintenant fleurir des supermarchés « culturels » en périphérie ou des galeries commerciales en centre, qui nient le caractère du lieu. Ainsi, plus de 50% des commerces anciens de Bayonne n’ont qu’une surface de cinquante me ou moins, ce qui entraîne leur vacance, les magasins qui souhaitent s’y installer recherchant entre six cents et mille cinq cents m2.
Un aménagement équilibré
On sait que la conservation des villes suppose qu’elles soient habitées, vivantes, maintiennent des quartiers comme les autres. Cela suppose une politique d’aménagement équilibrée, avec des constantes adaptations à un contexte mouvant.
De même, l’action sur les centres ne peut pas être menée indépendamment de la périphérie. Or, aujourd’hui les leviers de ces équilibres et de cette cohérence manquent: les actions sont de court terme et le morcellement communal place les territoires en situation de rivalité.
La protection des centres anciens n’est pas seulement une question d’architecture et de patrimoine, elle est beaucoup plus complexe. Le Conseil de l’Europe a formulé de façon pertinente et synthétique cet enjeu en préconisant une « conservation intégrée ». Cela veut dire qu’il est nécessaire de prendre en compte toutes les dimensions urbaines en même temps que le patrimoine. Hors de cette approche, point de salut.
Alexandre MÉLISSINOS
Architecte urbaniste